robert lamoureux
LE CANARD ETAIT TOUJOURS VIVANT
Le Canard était toujours vivant
Ho ! A la maison on a eu un truc terrible. On a reçus un canard vivant à la maison. On l’a reçu un dimanche matin ; ho ben Maman à dit : « on vas pas le tuer aujourd’hui, on va le laisser trotter jusqu’à demain matin et pi demain matin on l’aura sous la main ».
Alors le Lundi matin, le canard était toujours vivant.
On peut pas le retrouver, on l’cherche partout, il était monté sur le buffet didons, tout là haut surle buffet de la salle à manger alors Papa il a dit : « C’est pas dur, c’est ben simple je sais pas comment il a fait pour monter là haut mais je vois bien comment nous on va faire… y a qu’a mettre la table, sur la table on mettre une chaise, sur la chaise on mettra un banc et on mettra même un bottin sur le banc et moi je monterai sur le bottin »
Moi je me suis dit : « C’est peut-être la bonne qui va monter », maman a pas voulu et c’est là que ledrame a commencé parce que c’est Papa qui est monté, enfin je ne sais pas pourquoi je dis « il est monté », c’est une façon de parler parce qu’on a tous eu l’impression qu’il passait plutôt son temps à descendre ! des fois il est tombé avant de monter sur la table, des fois, quand la chaise a été sur la table, Papa est monté sur la chaise, c’est là qu’il a commencé son numéro de voltige, avec accessoire et double saut périlleux carpé, alors là ça été émouvant on sentait bien qu’il allait se passer quelque chose mais on pensait pas que ce serait aussi grave. Remarquez, de la façon dont-il s’y prenait, c’était forcé qu’on le ramasse à un moment ou un autre, mais même un gars du métier aurait jamais pu penser que ça irait si vite.
Alors il a d’abord fait un rétablissement sur le dossier de la chaise avec menton dans un barreau. Extension de la jambe droite et recroquevillement du mollet autour du bras gauche, ça ça a été sensationnel, et tout de suite après, glissade sur les rotules avec tournoiement dans l’air et réception au tapis avec mâchoires sur le radiateur, c’était fantastique. Ça c’était que le début ça, et quand le soir, vers 5 heures, on a mis la chaise sur la table, le banc sur la chaise et Papa sur le banc, il y a eu un moment de silence, et quand Papa a dit : « vous allez me passer le bottin » , « de quelleannée ? » qu’elle lui a demandé Maman, « alors passe moi celui de 2008, parce que celui de 2007 il manque 3 pages et ce serait trop juste ! » ça vous prenait là ! ce monument que ça a été. Ce qui a foutu tout par terre c’est que chez nous, c’est pas haut de plafond et quand le vieux c’est relevé endisant : « ça y est » PAF, y a eu comme un bruit de DCA avec chute d’un avion lourd de B212 et alors là… si Papa s’était pas accroché au buffet, y aurait eu que demi-mal, vu que des suspensions, on en trouve encore et que des glaces de dessus de cheminée, on en trouve avec les bons de la semeuse, mais le fait était là et le pire, c’est que nous, on a rien vu du tout parce que quand il est tombé, on était tous rentrés dans le buffet, Maman était juste là où y avait les raviers et la bonne s’était fourrée la tête dans le tiroir, là où y a les quittances et moi j’étais dans le haut avec ma timbale en zinc de 1ère communion… un machin extraordinaire.
Toujours est-il que le mardi matin, le canard était toujours vivant, « alors là, maintenant, y a plus de gants à prendre avec le canard » qu’il a dit Papa « je vais chercher la hache à fendre les bûches ».
Alors là, on a senti dans l’immeuble qu’il y avait comme une odeur de sang et y en a eu du sang, y’en a eu quand il l’a laissé tomber sur le pied de Maman, y’en a eu quand il a filé l’manche dans l’œil à la bonne et y’a failli en avoir parce que moi j’ai vu passer la hache au moment où il a tapé surle canard… le canard en plâtre, un faux qu’on avait sur une cheminée, à ce moment là, la hache s’est démanchée et j’ai vu le coin qui m’est passé à 3cm de l’œil droit et il est rentré dans lebaromètre. Vous dire quelle atmosphère qu’y avait à la maison, c’était cornélien.
Enfin, le jeudi matin, le canard était toujours vivant, remarquez moi je sais ce qui c’est passé à ce moment là, « y a plus qu’une chose à faire » qu’il a dit Papa « je vais chercher le fusil ! » « non » qu’elle y a dit Maman, qu’elle avait déjà vu les horreurs de la guerre « laisse moi embrasser mon fils » qu’elle a dit avant de se glisser sous la bibliothèque. Alors là Papa il a mis 2 cartouches dans lefusil, 21 dans sa bandoulière et 18 dans la poche de son pantalon.
+ de paroles
Comme atmosphère s’était sensationnel, aux 15 premiers coups de fusil, alors là les 15 premiers coups de fusil ça a fait un scandale… du côté canard y’a rien eu, mais à chaque coup de fusil y a quelque chose qui tombait, on se serait cru dans une baraque foraine à la foire du Trône, c’était extraordinaire. Vous pensez que nous on voyait rien à cause de la fumée, mais on sentait qui s’passait quelque chose d’anormal à la fin quand Papa avait épuisé ses munitions. Il a ouvert la fenêtre, c’était pas la peine qu’il ouvre la fenêtre vu qu’il avait viré tous les carreaux dés le début.
Et le vendredi matin, le canard était toujours vivant.
Alors là, Papa à dit : « je vais faire appel à des chasseurs !»
14 qu’il en est venu, ils ont mis la hausse sur le fusil, ils ont coincé le canard sous l’évier et ils ont tiré tous les 14 ensemble, à 70cm de l’évier ça faisait 28 balles qui sont partis d’un seul coup et leseul qui a pas pris de plomb dans les pieds il en avait plein les fesses et y s’est demandé d’où ça venait vu qu’il était derrière tout le monde et qu’il avait tiré dans le plafond.
Et le samedi matin, le canard était toujours vivant, alors depuis y continue et on le nourrit qu’avec des navets, que des navets, que des navets …
Robert Lamoureux
Ho ! A la maison on a eu un truc terrible. On a reçus un canard vivant à la maison. On l’a reçu un dimanche matin ; ho ben Maman à dit : « on vas pas le tuer aujourd’hui, on va le laisser trotter jusqu’à demain matin et pi demain matin on l’aura sous la main ».
Alors le Lundi matin, le canard était toujours vivant.
On peut pas le retrouver, on l’cherche partout, il était monté sur le buffet didons, tout là haut surle buffet de la salle à manger alors Papa il a dit : « C’est pas dur, c’est ben simple je sais pas comment il a fait pour monter là haut mais je vois bien comment nous on va faire… y a qu’a mettre la table, sur la table on mettre une chaise, sur la chaise on mettra un banc et on mettra même un bottin sur le banc et moi je monterai sur le bottin »
Moi je me suis dit : « C’est peut-être la bonne qui va monter », maman a pas voulu et c’est là que ledrame a commencé parce que c’est Papa qui est monté, enfin je ne sais pas pourquoi je dis « il est monté », c’est une façon de parler parce qu’on a tous eu l’impression qu’il passait plutôt son temps à descendre ! des fois il est tombé avant de monter sur la table, des fois, quand la chaise a été sur la table, Papa est monté sur la chaise, c’est là qu’il a commencé son numéro de voltige, avec accessoire et double saut périlleux carpé, alors là ça été émouvant on sentait bien qu’il allait se passer quelque chose mais on pensait pas que ce serait aussi grave. Remarquez, de la façon dont-il s’y prenait, c’était forcé qu’on le ramasse à un moment ou un autre, mais même un gars du métier aurait jamais pu penser que ça irait si vite.
Alors il a d’abord fait un rétablissement sur le dossier de la chaise avec menton dans un barreau. Extension de la jambe droite et recroquevillement du mollet autour du bras gauche, ça ça a été sensationnel, et tout de suite après, glissade sur les rotules avec tournoiement dans l’air et réception au tapis avec mâchoires sur le radiateur, c’était fantastique. Ça c’était que le début ça, et quand le soir, vers 5 heures, on a mis la chaise sur la table, le banc sur la chaise et Papa sur le banc, il y a eu un moment de silence, et quand Papa a dit : « vous allez me passer le bottin » , « de quelleannée ? » qu’elle lui a demandé Maman, « alors passe moi celui de 2008, parce que celui de 2007 il manque 3 pages et ce serait trop juste ! » ça vous prenait là ! ce monument que ça a été. Ce qui a foutu tout par terre c’est que chez nous, c’est pas haut de plafond et quand le vieux c’est relevé endisant : « ça y est » PAF, y a eu comme un bruit de DCA avec chute d’un avion lourd de B212 et alors là… si Papa s’était pas accroché au buffet, y aurait eu que demi-mal, vu que des suspensions, on en trouve encore et que des glaces de dessus de cheminée, on en trouve avec les bons de la semeuse, mais le fait était là et le pire, c’est que nous, on a rien vu du tout parce que quand il est tombé, on était tous rentrés dans le buffet, Maman était juste là où y avait les raviers et la bonne s’était fourrée la tête dans le tiroir, là où y a les quittances et moi j’étais dans le haut avec ma timbale en zinc de 1ère communion… un machin extraordinaire.
Toujours est-il que le mardi matin, le canard était toujours vivant, « alors là, maintenant, y a plus de gants à prendre avec le canard » qu’il a dit Papa « je vais chercher la hache à fendre les bûches ».
Alors là, on a senti dans l’immeuble qu’il y avait comme une odeur de sang et y en a eu du sang, y’en a eu quand il l’a laissé tomber sur le pied de Maman, y’en a eu quand il a filé l’manche dans l’œil à la bonne et y’a failli en avoir parce que moi j’ai vu passer la hache au moment où il a tapé surle canard… le canard en plâtre, un faux qu’on avait sur une cheminée, à ce moment là, la hache s’est démanchée et j’ai vu le coin qui m’est passé à 3cm de l’œil droit et il est rentré dans lebaromètre. Vous dire quelle atmosphère qu’y avait à la maison, c’était cornélien.
Enfin, le jeudi matin, le canard était toujours vivant, remarquez moi je sais ce qui c’est passé à ce moment là, « y a plus qu’une chose à faire » qu’il a dit Papa « je vais chercher le fusil ! » « non » qu’elle y a dit Maman, qu’elle avait déjà vu les horreurs de la guerre « laisse moi embrasser mon fils » qu’elle a dit avant de se glisser sous la bibliothèque. Alors là Papa il a mis 2 cartouches dans lefusil, 21 dans sa bandoulière et 18 dans la poche de son pantalon.
+ de paroles
Comme atmosphère s’était sensationnel, aux 15 premiers coups de fusil, alors là les 15 premiers coups de fusil ça a fait un scandale… du côté canard y’a rien eu, mais à chaque coup de fusil y a quelque chose qui tombait, on se serait cru dans une baraque foraine à la foire du Trône, c’était extraordinaire. Vous pensez que nous on voyait rien à cause de la fumée, mais on sentait qui s’passait quelque chose d’anormal à la fin quand Papa avait épuisé ses munitions. Il a ouvert la fenêtre, c’était pas la peine qu’il ouvre la fenêtre vu qu’il avait viré tous les carreaux dés le début.
Et le vendredi matin, le canard était toujours vivant.
Alors là, Papa à dit : « je vais faire appel à des chasseurs !»
14 qu’il en est venu, ils ont mis la hausse sur le fusil, ils ont coincé le canard sous l’évier et ils ont tiré tous les 14 ensemble, à 70cm de l’évier ça faisait 28 balles qui sont partis d’un seul coup et leseul qui a pas pris de plomb dans les pieds il en avait plein les fesses et y s’est demandé d’où ça venait vu qu’il était derrière tout le monde et qu’il avait tiré dans le plafond.
Et le samedi matin, le canard était toujours vivant, alors depuis y continue et on le nourrit qu’avec des navets, que des navets, que des navets …
Robert Lamoureux
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- PAPA, MAMAN, la bonne et moi - ELOGE DE LA FATIGUE
J'suis d'nationalité française
Et bien qu'étant né à Paris Maman est de souch' bordelaise Papa est natif du Berry Et vraiment d's'app'ler Lamoureux Pour un garçon c'est merveilleux Papa, Maman, la bonne et moi Des gens comm' nous y'en a des tas On achèt' à tempérament Papa, moi, la bonn' et Maman L'été on va aux Sabl's d'Olonn' Papa, Maman, moi et la bonn' Quand on r'vient y nous res' vingt francs Papa, moi, la bonn' et Maman 2- L'pèr' Lamoureux est fonctionnaire Maman est fill' d'horticulteurs, Moi j'ai l'brevet élémentaire Un grand oncle et pas d'petit' sœur Mais vraiment d's'app'ler Lamoureux Pour plair' aux dam's on n'fait pas mieux Papa, Maman, la bonn' et moi On a un' radio qui march' pas Un très vieux piano qui détonne Papa, Maman, moi et la bonn' L'sam'di on va au cinéma Maman, la bonn', moi et Papa Ou dans notr' jardin d'Noisy l'Grand Papa, moi, la bonn' et Maman 3 - La vie n'est pas un' chos' amère Quand on la prend du bon côté Nous avons tous nos p'tit's misères Mais faut savoir s'en arranger Faut s'débrouiller pour être heureux Mêm' si on s'nomme pas Lamoureux Papa, Maman, la bonn' et moi Quand on est gênés en fin d'mois On pens' qu'il y a des millions d'gens Qu'on sûr'ment les mêm's embê'ments Et cett' façon d'voir prouv' qu'en somm' Papa, Maman, moi et la bonn' On est bien Français cent pour cent Papa, moi, la bonn' et Maman Robert Lamoureux |
Vous me dites, Monsieur, que j'ai mauvaise mine,
Qu'avec cette vie que je mène, je me ruine, Que l'on ne gagne rien à trop se prodiguer, Vous me dites enfin que je suis fatigué. Oui je suis fatigué, Monsieur, et je m'en flatte. J'ai tout de fatigué, la voix, le coeur, la rate, Je m'endors épuisé, je me réveille las, Mais grâce à Dieu, Monsieur, je ne m'en soucie pas. Ou quand je m'en soucie, je me ridiculise. La fatigue souvent n'est qu'une vantardise. On n'est jamais aussi fatigué qu'on le croit ! Et quand cela serait, n'en a-t-on pas le droit ? Je ne vous parle pas des sombres lassitudes, Qu'on a lorsque le corps harassé d'habitude, N'a plus pour se mouvoir que de pâles raisons... Lorsqu'on a fait de soi son unique horizon... Lorsqu'on a rien à perdre, à vaincre, ou à défendre... Cette fatigue-là est mauvaise à entendre ; Elle fait le front lourd, l'oeil morne, le dos rond. Et vous donne l'aspect d'un vivant moribond... Mais se sentir plier sous le poids formidable Des vies dont un beau jour on s'est fait responsable, Savoir qu'on a des joies ou des pleurs dans ses mains, Savoir qu'on est l'outil, qu'on est le lendemain, Savoir qu'on est le chef, savoir qu'on est la source, Aider une existence à continuer sa course, Et pour cela se battre à s'en user le coeur... Cette fatigue-là, Monsieur, c'est du bonheur. Et sûr qu'à chaque pas, à chaque assaut qu'on livre, On va aider un être à vivre ou à survivre ; Et sûr qu'on est le port et la route et le quai, Où prendrait-on le droit d'être trop fatigué ? Ceux qui font de leur vie une belle aventure, Marquant chaque victoire, en creux, sur la figure, Et quand le malheur vient y mettre un creux de plus Parmi tant d'autres creux il passe inaperçu. La fatigue, Monsieur, c'est un prix toujours juste, C'est le prix d'une journée d'efforts et de luttes. C'est le prix d'un labeur, d'un mur ou d'un exploit, Non pas le prix qu'on paie, mais celui qu'on reçoit. C'est le prix d'un travail, d'une journée remplie, C'est la preuve, Monsieur, qu'on marche avec la vie. Quand je rentre la nuit et que ma maison dort, J'écoute mes sommeils, et là, je me sens fort ; Je me sens tout gonflé de mon humble souffrance, Et ma fatigue alors est une récompense. Et vous me conseillez d'aller me reposer ! Mais si j'acceptais là, ce que vous me proposez, Si j'abandonnais à votre douce intrigue... Mais je mourrais, Monsieur, tristement... de fatigue. Robert Lamoureux |
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